Conférence présentée dans le cadre du cycle Année de la France à Mons.
Marie José Freund-Mercier : Institut des Neurosciences cellulaires et intégratives UPR3212 CNRS, Université de Strasbourg.
Associer chimie et amour peut surprendre si l’on s’en tient aux strictes définitions. Toutefois, si l’on précise chimie biologique et que l’on considère l’amour non seulement comme un sentiment mais comme une émotion complexe, l’association chimie et amour est pertinente et intéresse depuis plusieurs décennies les chercheurs en Neurosciences. De nombreuses données existent qui mettent en évidence le rôle de molécules biologiques, neurotransmetteurs et hormones dans les processus qui sous-tendent et constituent l’amour. Avec près de 100 milliards de neurones dans l’espèce humaine, le cerveau est l’organe sexuel le plus important.
En traitant principalement de la passion amoureuse et en décomposant l’amour en réponses émotionnelles et physiologiques (désir, excitation, orgasme) et sentiment (affection, attachement) nous présenterons des exemples caractéristiques montrant l’implication de molécules biologiques. Nous ferons référence à des modèles animaux car des relations de causalité, et non pas de simples corrélations entre molécules et fonctions, ont pu y être établies. Le développement de l’imagerie cérébrale nous permettra également de présenter des données obtenues dans l’espèce humaine.
La dopamine, un neurotransmetteur largement répandu dans le système nerveux, au cœur du circuit de récompense, et la testostérone, une hormone sexuelle produite chez le mâle mais aussi chez la femelle, agissant sur le cerveau sous forme de stéroïde neuroactif, sont des molécules clefs de l’éveil sexuel et du désir. Ceci concerne non seulement les mammifères, dont l’humain, mais aussi les oiseaux. L’orgasme qui s’accompagne d’une activation cérébrale et de réponses physiologiques périphériques fait intervenir des hormones (prolactine, ocytocine) et des neurotransmetteurs classiques mais aussi gazeux (NO monoxyde d’azote). Les liens d’attachement qui constituent le ciment du sentiment amoureux sont étroitement dépendants de l’ocytocine et de la vasopressine, deux neuropeptides produits par des neurones hypothalamiques, agissant comme hormones mais aussi comme neuromédiateurs. De tels liens existent chez la plupart des mammifères, ils ont été particulièrement étudiés dans deux groupes de campagnols, les campagnols des prairies (monogames) et les campagnols des montagnes (polygames). Il est intéressant de constater que l’ocytocine, présentée souvent comme « l’hormone de l’amour et de la fidélité », est aussi étroitement associée à l’amour maternel et notamment aux liens étroits qui s’établissent au moment de la parturition entre la brebis et son agneau.
Réduire l’amour à des réactions chimiques, même si elles se déroulent dans notre cerveau, est aussi absurde que de réduire « l’amour sacré et l’amour profane », célèbre tableau du Titien, à des combinaisons chromatiques. Ce qui est essentiel, et rend compte du sublime, c’est l’intégration dans une grande complexité de tous les éléments et la plasticité des mécanismes.